Historique

Au cours des quinze dernières années, les organisations associatives sportives ont connu de profondes modifications de leurs conditions de fonctionnement et de financement grâce notamment au très fort accroissement des recettes des droits de télévision et de sponsoring provenant de l’organisation de spectacles très lucratifs tels que des coupes ou championnats du monde ou/et l’organisation de circuits internationaux[1]. C’est pourquoi, organisations hybrides, elles doivent concilier logique associative et commerciale pour assurer leur développement au prix d’une gestion de compromis identitaires (Bayle, 2007). Les Fédérations internationales sportives (FI) et le Comité international olympique (CIO), en situation de quasi monopole historique, ne sont pas directement soumises à un système de régulation public ou du marché boursier (hormis le système de révision financière propre aux associations). La situation du CIO et des FI n’est pas unique, on retrouve le même type de structure dans les ONG (Futurible, 2001 ; Queinnec et Igallens, 2004), telle que, par exemple, le Comité International de la Croix-Rouge[2].

Bien qu’à but non lucratif et « d’utilité publique », le fonctionnement du CIO et des FI est totalement privé et issu d’un système démocratique. Contrairement à l’entreprise où le résultat financier est central et où l’intérêt de l’actionnaire joue un rôle majeur, les organismes internationaux à but non lucratif n’ont pas pour finalité principale la performance financière. Ceci n’exclut pas la nécessité du développement de leurs ressources et d’un équilibre budgétaire en vue du développement de la couverture médiatique d’un sport et de son expansion dans de nouveaux pays ou continents. De plus, ces organisations doivent s’efforcer d’éviter les transactions malhonnêtes (enrichissement personnel, financement occulte…) qui sont en forte contradiction avec les valeurs humanistes qu’elles cherchent à promouvoir.

La gouvernance du CIO et des FI est pourtant souvent mise en défaut comme d’autres grandes organisations. Les remises en cause, au début des années 2000, du fonctionnement du Comité International Olympique (Chappelet, 2002), de la fédération internationale de volley-ball et de beach volley (FIVB), de la fédération internationale de football association FIFA et d’autres FI en sont l’illustration. Depuis le début des années 2000, des transformations importantes des modalités de gouvernance ont parfois été adoptées ou envisagées notamment à l’exemple du CIO (Chappelet dans Bayle et Chantelat, 2007).

Les FI, telles qu’une des plus connues comme la FIFA, ont été créées pour la plupart à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle. Reconnues par le Comité international olympique (CIO) et appartenant au mouvement olympique que ce dernier chapeaute, elles se sont données pour mission d’organiser, de promouvoir et de développer leurs sports dans le monde (Chappelet et Bayle, 2005). A cet égard, elles définissent et sont les gardiennes des règles de leur(s) discipline(s) sportive(s) mais aussi sont généralement propriétaires des championnats mondiaux.

Mais durant ces dernières années, dû aux manques de contrôles de la gouvernance des différentes associations sportives, un grand nombres de problèmes ou de scandales ont éclaté comme : le choix de Salk Lake City pour les Jeux Olympiques en 1998, des questions liées à la nomination de Sepp Blatter à la tête de la FIFA en 1998, les problèmes de gouvernance de la fédération internationale de Taekwondo (WTF) en début 2000, l’attribution des notes du patinage artistique durant les Jeux Olympiques de Salk Lake City de 2002 au sein de l’union internationale de patinage (ISU), en 2002 le scandale financier dû à la faillite d’ISL[3] pour la FIFA, l’attaque du président de la fédération argentine de volleyball contre le Président de la FIVB en 2003, le problème de la remise des médailles en lutte pour la fédération internationale de lutte amateur (FILA) lors des Jeux Olympiques de Pékin en 2008, les matchs truqués pour l’union européenne de football association (UEFA) en 2010 et, la même année, les soupçons de corruption pour le choix du pays organisateur des Championnats du monde de football pour la FIFA, pour les plus connus.

Contrairement aux modes et à la régulation de gouvernance concernant les (grandes) entreprises, assez peu d’études et de recommandations ont, pour l’instant, été réalisées sur les organisations à but non lucratif (en France, l’Institut Français des Administrateurs (2009) ; dans le monde anglo-saxon, les travaux de Carver -1997 et 2001- et la mise en place d’un certain nombre de référentiels – cf. l’ouvrage de l’IFA 2009 -). L’essentiel des travaux se concentre sur le rôle du CA. Dans le monde des organisations sportives, les travaux majeurs sont ceux de la «commission CIO 2000 »[4], de Chappelet (2006 et 2010) et d’Arcioni (2007, 2009 et 2010).

Aux vues des enjeux et des montants financiers que véhicule le monde du sport, le plus grand risque pour ce dernier serait qu’un groupe de médias ou que la Commission européenne s’intéresse de plus près à la réglementation du sport ou d’une partie comme celle des droits télévision. Il s’agirait, dans le premier cas, de créer un cadre de négociation des prix et du contrôle du reversement de ce revenu pour la FI ou le CIO, tandis que dans le deuxième cas, il s’agirait d’une idée pour prélever un nouvel impôt et établir une clé de répartition du revenu des droits TV. Dans ces deux cas, le monde du sport perdrait une grande partie de son indépendance.

L’objectif de cet article est de proposer une étude pour la création d’un organisme de régulation (World Sport Governance Agency : WSGA) reposant sur la littérature de la gouvernance des ONG, des Organisations à but non lucratif (OBNL), du sport et des modèles existants pour le monde des entreprises à buts lucratifs ainsi que certaines ONG. En effet, les éléments résultant de la création d’une telle agence serviraient à améliorer les pratiques de gouvernance, facteurs clés de leur performance (Chappelet et Bayle, 2005).

Dans un premier temps, nous analyserons les recherches portant sur la gouvernance et la régulation des OBNL et du sport. Dans un second, nous présenterons la méthodologie retenue. Dans un troisième temps, nous ferons une proposition de création d’un organisme de régulation avec l’analyse des risques pour le monde du sport au cas où cette agence ne verrait pas le jour.



[1] A titre d’exemple, citons l’une des plus lucratives, la coupe du monde de football en 2006 qui a généré un chiffre d’affaires de 557 millions d’euros pour un bénéfice de 155 millions d’euros. Cet évènement est la propriété de la FIFA qui en concède l’organisation. La FIFA dispose quant à elle d’un CA de 553 Me et d’un bénéfice de 184 Me. Source JF. Bourg 2008.

[2] La crédibilité des actions et de la légitimité du CICR est parfois remise en question périodiquement : payement de droits de passage en Afrique, valeurs morales de certains délégués, fonctionnement du quartier général…

[3] ISL a été créée en 1983 à l’initiative d’Horst Dassler, alors patron de la société Adidas. Il avait compris que sa situation dominante dans le monde de l’équipement sportif devait trouver son prolongement naturel dans l’achat des droits de télévision et de marketing. Très rapidement, l’homme avait compris que le sport allait connaître un essor considérable au point de déchaîner la convoitise des chaînes de télévision, prêtes à payer de très grosses sommes afin d’acquérir les spectacles les plus recherchés, Coupe du Monde de football et Jeux Olympiques en tête. Sa société ne tarda pas à devenir leader d’un marché en pleine expansion. Le décès prématuré d’Horst Dassler en 1987 n’affectera pas la montée en puissance d’une entreprise liée par des contrats à long terme avec les plus importantes fédérations sportives du monde. Rien ne semblait devoir entraver cette phénoménale réussite pendant la décennie 90 marquée par des conquêtes toujours plus importantes et des résultats en pleine expansion. ISL est devenue un véritable empire, en dépit d’une concurrence grandissante. Mais à la fin de la décennie, ISL devint de plus en plus boulimique et commence une série d’investissements hasardeux qui causèrent sa perte. Elle acquit au prix fort (1,2 milliards de dollars) les droits pour dix ans des neuf plus grands tournois de tennis masculin. Elle acheta le football brésilien et le football chinois. Elle investit dans les courses automobiles CART aux Etats-Unis. En pensant, chaque fois, avoir trouvé un filon juteux. Plus fort encore, elle devint propriétaire des droits de retransmission télévisée des deux prochaines Coupes du Monde de football en association avec le groupe allemand Leo Kirch pour la somme de 0,7 milliards de CHF. Une Coupe du Monde, celle de 2002, qu’il était très difficile de vendre aux chaînes de télévision européennes en raison d’horaires inadaptés et des tarifs prohibitifs. De là à imaginer cependant que la société était dans une situation financière désastreuse, personne n’osait y croire. Pourtant la décision du tribunal suisse (la société a son siège à Lucerne) mit fin à près de vingt années de pouvoir quasi absolu. Une partie d’ISL fut repris par un des deux autres géants de la planète, le groupe Leo Kirch.

[4] Suite à l’opacité de l’attribution des JO à Salt Lake City et sous la pression des médias, J.A. Samaranch créa une commission ad hoc sous le nom de « CIO 2000 » pour mener une réflexion sur les principes de la corporate governance au sein du CIO et d’y « accroître la transparence ».